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Li Lu, l’héritier intellectuel de Charlie Munger

Avec le décès de Charlie Munger, figure emblématique de l’investissement et partenaire de longue date de Warren Buffett chez Berkshire Hathaway, nous plongeons dans l’univers de Li Lu, son disciple et fidèle adepte. Munger, qui était publiquement extrêmement critique envers les traders de Wall Street et des managers peu intègres, avait une confiance exceptionnelle en Li Lu au point de lui confier la gestion d’une partie de son propre capital !

Cet article explore la philosophie et les stratégies de Li Lu, enrichissant les enseignements de Munger et Buffett.

Le Parcours de Li Lu

Li Lu, né en Chine en 1966, a eu une enfance marquée par des défis considérables, y compris la survie du tremblement de terre de Tangshan en 1976, l’un des plus meurtriers de l’histoire enregistrée, et la Révolution culturelle tumultueuse qui a bouleversé sa patrie. Malgré ces épreuves, la détermination de Li Lu l’a conduit vers un avenir que peu auraient pu imaginer. Il a finalement fui vers New York à l’âge de 23 ans, où il a cultivé son vif intérêt pour la finance et l’investissement.

À l’Université Columbia, Li Lu a véritablement trouvé sa passion. Après avoir obtenu trois diplômes en économie, en droit et en commerce, il a lancé sa carrière en finance en fondant Himalaya Capital, un fonds de gestion avec un style profondément influencé par les préceptes de Buffett et Munger.

 Parti de moins de 100 millions de dollars sous gestion, Himalaya Capital gère aujourd’hui près de 14 milliards de dollars (en 2023), et a réalisé un rendement annuel composé de 30% depuis 1998.

La Philosophie d'Investissement de Li Lu

Li Lu a fait siens les préceptes du value investing et insiste sur la nécessité de se penser comme détenteur d’un titre de propriété d’une entreprise, amenée à créer de la valeur dans le temps. Toutefois, seule une partie marginale (de l’ordre de 5% selon son propre aveu) des investisseurs ont la bonne configuration mentale et intellectuelle pour accepter d’aborder les marchés financiers de façon non grégaire et peu orthodoxe, ce qui commence par se placer sur un horizon de temps qui n’est plus celui de l’industrie financière.

Il est de même très attaché au concept de marge de sécurité, popularisé par W.Buffett -qui l’avait lui-même fait sien des enseignements de Graham-, puis par Seth Klarman dans son best-seller éponyme.

« Une partie du jeu de l'investissement consiste à 'trouver sa propre voie'. Vous devez trouver une méthode qui soit parfaitement en symbiose avec votre personnalité. »

Les Clés du Succès selon Li Lu

Pour Li Lu, ce sont donc bien la particularité de l’approche intellectuelle (mentalité du propriétaire), l’horizon de temps et l’exigence vis-à-vis du prix payé qui font la spécificité de l’investisseur « value ».

Etoffer sa culture économique est en effet indispensable car c’est bien ce bagage intellectuel -en plus d’une bonne connaissance des fondamentaux de l’analyse financière- qui nous permettra de repérer et saisir des opportunités.

Toutefois, s’il faut un panel de compétences transversales pour investir en bourse, il apparait pour Li Lu indispensable d’être spécialisé. Il faut en effet savoir trouver son avantage comparatif, telle que la connaissance pointue d’un secteur d’activité spécifique (liée à son parcours professionnel par exemple) ou encore d’une entreprise.

L’aspect psychologique n’est pas en reste, puisque l’investisseur value devra être ferme dans ses convictions, par définition à l’inverse du consensus boursier. Néanmoins, il est indispensable de s’acquitter d’un travail d’inversion de la thèse d’investissement cher à C.Munger (« inversez, inversez toujours ») afin de comprendre pourquoi Mr.Marché nous offre un prix si attractif sur une valeur, tout en étant convaincu qu’il se trompe.

En bon émule de Munger, il fait de la curiosité, la qualité première d’un investisseur, et est un lecteur insatiable partant du postulat que « plus vous en savez, meilleur investisseur vous êtes ».

Li Lu accorde une importance toute particulière à la qualité fondamentale des business qu’il achète -l’apport de Buffett et Munger à l’école historique de la value-, et se concentre sur :

– La rentabilité des capitaux investis, rappelant que sur le long terme la performance boursière d’une action sera très proche de cette dernière

– La position concurrentielle d’une entreprise, puisqu’il faut des avantages compétitifs forts et durables pour défendre une rentabilité des capitaux investis élevée dans une économie de marché

– La qualité du management, c’est-à-dire son intégrité, sa vision de la stratégie sur le long terme et ses compétences en matière d’allocation de capital (Li Lu explique même qu’il est toujours prêt à interroger l’entourage proche d’un membre clé du management pour en savoir plus sur ses qualités humaines !)

– La structure financière de l’entreprise afin de comprendre qui possède la majorité du capital et des droits de vote et de s’assurer du bon alignement d’intérêts entre toutes les parties prenantes.

Les meilleures affaires en bourse se font lorsque vous dénichez une pépite dont la rentabilité des capitaux investis est élevée s’échangeant sur des multiples de valorisation faibles, qui vont être amenés à être revalorisés, offrant ainsi deux leviers de performance boursière : la croissance du bénéfice net par action et la revalorisation des multiples « normatifs » auxquels le titre s’échange.

Exemple Concret : L'investissement dans Timberland

Prenons à titre d’exemple le cas d’investissement emblématique -Timberland- qu’a présenté Li Lu aux étudiants de la Columbia Business School en 2006, leur expliquant qu’il avait acheté le titre aux alentours de 28$ à l’été 1998.

Le titre se payait alors environ 5 fois les bénéfices, du fait notamment de la défiance sur le secteur d’activité à la suite de la crise asiatique, ayant particulièrement impacté Nike.

Pourtant, avec un actif net par action proche des 23$, des parts de marché fortes, une vraie image de marque, un actionnariat familial (environ 40% du capital mais 98% des droits de vote), le titre ne manquait pas de qualités fondamentales.

Li Lu se rendit compte qu’il était mal valorisé notamment du fait de poursuites judiciaires engagées par des groupes d’actionnaires mécontents que la direction ne donne plus de guidance après avoir en raté plusieurs -dans un environnement incertain c’est pourtant le lot de bien des entreprises- ! Li Lu statua que l’exposition à hauteur de 10% du CA groupe à l’Asie et les poursuites en cours ne pesaient pas bien lourd ramenées à la forte rentabilité des capitaux investis (de l’ordre de 50%) et à la marge opérationnelle tout à fait convenable (de l’ordre de 13%) du groupe.

Il empocha ainsi 7 fois sa mise initiale sur le titre en deux ans, bénéficiant de la croissance des bénéfices du titre ainsi que de la revalorisation de ses multiples.

D’autres investissements Remarquables de Li Lu

En plus de son investissement emblématique dans Timberland, Li Lu a réalisé plusieurs autres investissements notables via son fonds Himalaya Capital Management. Parmi eux, l’investissement dans BYD en 2008 se distingue particulièrement. Ce « petit » fabricant chinois de batteries à l’époque est devenu aujourd’hui LE géant chinois des voitures électriques qui fait de l’ombre à Tesla et qui s’apprête à inonder le marché européen avec ses modèles au rapport qualité/prix impressionant.

Cette initiative a été réalisée en collaboration avec Berkshire Hathaway, sous la recommandation de Li Lu, et a conduit à un investissement significatif de la part de Berkshire​​.

Li Lu a également investi dans plusieurs grandes entreprises américaines, reflétant sa stratégie d’investissement axée sur la valeur et la croissance à long terme :

Micron Technology Inc : Un leader dans le domaine de la fabrication de semi-conducteurs, représentant 40.1% du portefeuille total de Himalaya Capital​​​​. Une concentration qui n’est pas sans rappeler le style de gestion de Charlie Munger, son mentor. Ce dernier n’hésitait pas à surpondérer à l’extrême le poids de sa / ses meilleurs idées dans le portefeuille poussant parfois sa meilleur conviction au delà des 70% du portefeuille.

Bank of America Corp : Une institution financière mondiale majeure, constituant 24.4% de son portefeuille​​​​.

Meta Platforms Inc : L’entreprise derrière des innovations majeures dans le secteur de la technologie et des réseaux sociaux, avec 11.1% de son portefeuille​​.

Berkshire Hathaway Inc et Alphabet Inc : Ces deux holdings, représentant respectivement 10.1% et 9.3% de son portefeuille, montrent l’intérêt de Li Lu pour des entreprises aux activités diversifiées et à fort potentiel de croissance​​.

Ces investissements illustrent l’approche stratégique de Li Lu en matière d’investissement value, se concentrant sur des entreprises ayant des positions de marché solides et un potentiel de croissance à long terme.

La Stratégie et l'Approche de Li Lu

Dans la lignée des enseignements de Munger, il expliqua que lorsqu’un pari aussi asymétrique se présente et que l’on connait bien son dossier il ne faut pas hésiter à en faire une position majeure de son portefeuille.

Li Lu aime à rappeler en conclusion de ses diverses interventions orales que nous n’avons besoin que d’une petite dizaine de gagnants pour faire de très belles performances sur une vie d’investisseur ! D’où le soin tout particulier qu’il apporte à son process de vente.

Vendre est en effet un exercice périlleux, et céder ses meilleurs compounders peut détruire de la valeur, quand bien même s’échangeraient-ils sur des multiples de valorisation élevés (en valeur absolue, mais pas nécessairement relative).

Il ne faut réfléchir à vendre que lorsque la thèse d’investissement est infirmée ou qu’un titre présente un couple rendement/risque plus avantageux, tout en prenant en compte les frottements fiscaux. Enseignement qui n’est pas sans rappeler la sage maxime « Circle the wagons » de Monish Pabraï !

Philanthropie et vie personnelle :

En plus de son succès dans le monde de l’investissement, Li Lu est activement impliqué dans la philanthropie, mettant l’accent sur l’éducation et les bourses d’études. Il a co-fondé la Fondation The Asian American Foundation (TAAF) en mai 2021 avec plusieurs autres leaders d’origine asiatique-américaine, y compris Jerry Yang, cofondateur de Yahoo, et Joseph Tsai, cofondateur d’Alibaba. TAAF a pour mission de servir les 23 millions d’Américains d’origine asiatique et insulaires du Pacifique dans trois domaines principaux : les programmes anti-haine, l’éducation et les données et la recherche. Depuis son lancement, TAAF a levé plus de 1 milliard de dollars pour soutenir les communautés AAPI.

Li Lu a également écrit et publié un livre en Chine intitulé « Civilization, Modernization, Value Investing and China » en 2020. En mai 2010, il a aidé à traduire et publier la version chinoise de « Poor Charlie’s Almanack: The Wit and Wisdom of Charles T. Munger » et a rédigé la préface du livre.

Conclusion :

Li Lu s’est imposé comme l’une des figures les plus inspirantes du monde de l’investissement à nos yeux, dont le process nous éclaire, dans le prolongement des enseignements de Buffett et Munger (à tel point que ce dernier était, un moment, pressenti par la presse financière comme étant leur successeur naturel à la tête de Berkshire !).

Glossaire :

  1. Value Investing : Stratégie consistant à sélectionner des actions sous-évaluées.
  2. Marge de Sécurité : Différence entre le prix de marché d’une action et sa valeur estimée.

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